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Habermas, Jürgen

Page history last edited by gregory_brasseur@hotmail.com 15 years, 1 month ago

Jürgen Habermas: jusqu'à quel point constructiviste?

Par Grégory Brasseur 

 

Aux dires de nombreux observateurs (Bouchindhomme, 2002), Jürgen Habermas est un auteur difficile à classer tant sa littérature est abondante et touche un grand nombre de registres de la philosophie (Habermas et Savidan, 2003): de l'épistémologie, la philosophie de l'histoire, du langage, de la morale et de la politique, jusqu'à la théorie sociale ou la psychologie. Nous n'aurons pas la prétention de dresser un portrait complet de l'oeuvre de ce philosophe et sociologue.

 

 

Cependant, pour le lecteur souhaitant se familiariser avec la vie de l'auteur et ses idées, cette prompte synthèse devrait être d'une utilité certaine. Le lecteur souhaitant étudier les liens qui existent entre les idées habermassiennes et une approche constructiviste du savoir et de la connaissance devrait également pouvoir trouver, à la lecture des lignes qui suivent, des informations pouvant lui être intéressantes.

 

 

Habermas n'a pas mené une lutte explicitement avouée à la défense d'une approche constructiviste de la connaissance. Une courte biographie de l'auteur nous permettra de mieux saisir le contexte d'élaboration de sa pensée. Puis, afin d'illustrer l'évolution de la dite pensée, nous retracerons celle d'un de ses travaux majeurs: l'éthique de la discussion.

 

 

1. La vie et le parcours professionnel de l'homme

 

 

1.1 Enfance et politique

 

 

Né le 18 juin 1929 à Düsseldorf en Allemagne, Habermas écrit que l'attitude de sa famille par rapport aux enjeux politiques, à l'époque de la montée du nazisme en Allemagne, est «caractérisé par une adaptation bourgeoise à un environnement politique auquel on ne s’identifie pas totalement, mais que l’on ne critique pas sérieusement non plus» (Habermas, 2005b, p.17). À l'âge de 15 ans, en 1944, le jeune Jürgen devient obligatoirement membre des Jeunesses hitlériennes1, le régime politique nazi de l'époque imposant depuis 1939 l'enrôlement dans l'organisation.

 

 

1.2 L'école de Francfort et la théorie critique

 

 

L'École de Francfort (Allemagne) naît au cours de l'Entre-deux-guerres et est principalement issue des travaux d'Horkeimer, d'Adorno et de Marcuse. En 1933, année d'arrivée au pouvoir du Parti nazi, l'histoire de l'École est marquée par l'exil de ses principaux chercheurs à Genève puis aux États-Unis (Poulain, 1997). Ce n'est qu'en 1950 qu'elle se rétablira de nouveau à Francfort. Les écrits d'avant-guerre ne seront republiés qu'à partir de 1967.

 

 

En 1956, à 27 ans, Habermas obtient une bourse qui l'amène à l'Institut de recherche sociale de Francfort (Poulain, 1997). Il y assistera, durant quelques années, des auteurs connus de l'École de Francfort, Adorno et Horkeimer plus particulièrement.

 

 

Durant ces années d'assistanat, Habermas est exposé à la pensée critique d'avant-guerre d'Adorno et d'Horkeimer, tout deux figures marquantes de la première génération de la théorie critique. Celle-ci critiquait alors l'autoritarisme vécu en Europe et en URSS, ainsi que la culture de masse émergente (Bouchindhomme, 2002).

 

 

Questionné sur l'influence exercée par ces deux auteurs sur sa pensée, Habermas affirmera plus tard que, dans sa démarche théorique, il reste fidèle à leur théorie critique. Dans un entretien publié dans le Monde de l'Éducation, Habermas dit en effet que «ses intérêts théoriques n'ont pas cessé d'obéir au mobile pratique consistant à rendre visibles les aspects socio-pathologiques que les circonstances dissimulent» (Truong, 2001, en ligne). En 1963, Habermas prend la relève d'Horkeimer au poste d'enseignant de la chaire de philosophie de Francfort (Poulain, 1997). En faisant référence aux travaux d'après-guerre de l'École de Francfort, le philosophe lui-même parle d'un renouveau de la théorie critique (Truong, 2001). Habermas et son collègue Apel seront de la deuxième génération de la pensée critique de Francfort.

 

 

De 1964 à 1971, et de 1983 à 1994, Habermas enseigne à l'École de Francfort. De 1971 à 1983, il est directeur de l'Institut Max-Planck des sciences sociales à Munich. Se voyant refuser un poste de professeur à Munich, il retournera à Francfort où il enseignera jusqu'à sa retraite (Poulain, 1997).

 

 

1.3 Les influences philosophiques

 

 

Outre les théoriciens sociaux de l'École de Francfort, on constate – particulièrement à la lecture de L'éthique de la discussion (Habermas, 1999) – qu'Habermas est influencé par d'autres auteurs de la discipline philosophique. Par exemple, les travaux d'Habermas sur l'éthique de la discussion retiennent une majeure partie de l'éthique kantienne. Une différence fondamentale existe toutefois dans le processus de validation de norme que défend chacun des auteurs.

 

 

Pour Kant, une norme est dite valide lorsqu'elle respecte l'impératif catégorique qui, en plus d'impliquer l'idée de ne faire que ce qui nous serait acceptable de se faire faire, implique celle qu'une norme doit être appliquée par l'individu strictement par conformité au devoir qu'il s'est subjectivement donné. Le devoir relève ici de l'individu uniquement qui, dans sa subjectivité, le définit. La validité de la norme est déterminée par une rationalisation individuelle.

 

 

Or, chez Habermas, un principe de discussion se présente en quelque sorte en substitut de l'impératif catégorique. Dès lors, une norme est dite valide lorsqu'elle passe par un processus d'intersubjectivité. Voyons plus en détail ce qu'Habermas propose dans son éthique de la discussion.

 

 

2.0 L'oeuvre et l'aspect constructiviste

 

Philosophe et sociologue, Habermas a étudié des enjeux à la fois sociologiques et philosophiques, tant au niveau pratique que théorique. Faire l'inventaire de ses publications serait fastidieux et inutile à notre démarche. C'est pourquoi nous concentrerons nos efforts autour d'une œuvre – majeure – qui nous permettra d'observer l'évolution de sa pensée épistémologique, tout particulièrement la question de la vérité: son éthique de la discussion.

 

 

2.1 L'éthique de la discussion

 

 

Nous avons dit que Habermas fonde son éthique de la discussion sur l'éthique kantienne, en remplaçant toutefois l'impératif catégorique par un principe de discussion. Habermas transformera ainsi un processus individuel d'établissement subjectif des normes en un processus d'établissement intersubjectif s'effectuant par le biais de la discussion.

 

 

La norme n'est, pour Habermas, plus basée sur une «transcendentalité» universaliste, mais plutôt sur une relativité au consensus qui intervient entre sujets impliqués dans la discussion (Habermas, 1999). Ainsi, « au lieu d’imposer à tous les autres une maxime dont je veux qu’elle soit une loi universelle, je dois soumettre ma maxime à tous les autres afin d’examiner par la discussion sa prétention à l’universalité. […]. Le centre de gravité [réside] dans ce que tous peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle » (Habermas, 1996, p. 88).

 

 

Cette différence vient, pour l'auteur, redéfinir le rôle de la philosophie. Pour Habermas, ce rôle devient « de décrire une démarche déontologique, non de la prescrire, la démarche concrète ne pouvant être le fait que des acteurs concernés » (Habermas, 1996, p. 88): le philosophe n'est donc pas que savant, il est aussi accompagnateur des acteurs concernés, afin que ceux-ci puissent mieux utiliser la raison.

 

 

C'est dans cet esprit qu'Habermas propose le principe de publicité. Par celui-ci, il souhaite un usage public, certes, mais également critique de la raison. Habermas applique lui-même son principe de publicité en prenant la parole dans de nombreux débats public (Ipperciel, 2003).

 

L'auteur réfléchira également, dans son Éthique de la discussion, sur l'importante opposition dans le domaine de la philosophie morale que voici: «l'opposition entre un universalisme abstrait («la morale est la même pour tous») et un relativisme contradictoire (« si chacun peut défendre sa morale, comment précisément se défend-il?)» (Habermas, 1999, 4e de couverture). Voyons comment ces opposition et interrogation feront évoluer la pensée du philosophe.

 

 

2.2 Vérité vs justification: réconciliation d'un réalisme épistémologique et d'un constructivisme moral

 

 

Au cours de la fin des années 80, Habermas prendra ce qu'il appelle «le tournant pragmatique» (Habermas & Savidan, 2003, p. 61). «N'est vrai que ce qui fonctionne réellement»2: voilà une définition rapide de ce qu'on entend par pragmatisme. Pour le philosophe, cette approche servira à corriger sa première

 

conception de la vérité, soit une conception discursive où la vérité est une justification rationnelle dite idéale. Voyons sa démarche de correction.

 

 

Selon le philosophe, la connaissance qui ne fonctionne pas est discursivement remise en question. En effet, un soudain déphasage apparaît par dysfonction d'un élément de connaissance implicite et appelle à une justification: «Dans le cours de nos activités quotidiennes, le fait de se fier intuitivement à ce que nous tenons pour vrai, inconditionnellement, relève d'une nécessité pratique» (Habermas & Savidan, 2003, p. 73).

 

 

Cette approche confronte la conception de la vérité comme justification dite idéale. Habermas explique son erreur et propose une nouvelle conception. En effet, l'établissement par la discussion d'une justification ne peut être qu'une prétention à la vérité pouvant mener tout au plus à l'acceptabilité rationnelle, mais jamais à la vérité. Le point de vue davantage pragmatique conduit à cette conception: la vérité est «réalisme sans représentation» (Habermas & Savidan, 2003, p. 66), réalisme sans discussion.

 

Résumons: la connaissance non problématique est vérité, ce monde objectif qui est plus ou moins le même pour tous et chacun. Habermas qualifiera lui-même cette position de réaliste, mais d'un type particulier: «un réalisme après le tournant pragmatiste» (Habermas & Savidan, 2003, p. 60).

 

 

Lorsque vient le temps d'aborder la question de la vérité morale, Habermas effectue une analogie entre le raisonnement réaliste épistémologique décrit ci-haut et le raisonnement connu de son éthique de la discussion. Habermas indique alors que la justesse morale ne se trouve pas à correspondre, comme un analogue, à la vérité de l'approche réaliste. En somme, Habermas explique qu'«il est possible que, dans les deux cas, nous ne disposions pas de meilleurs moyens de trancher la question que les arguments sous-tendant l'acceptabilité rationnelle des jugements» (Habermas & Savidan, 2003, p. 77).

 

 

3.0 La contribution habermassienne au constructivisme: une nuance

 

 

La position constructiviste d'Habermas n'apparait pas être une position distinctement tranchée. En effet, le philosophe et sociologue ne se formalise pas de prôner à la fois un réalisme pragmatique, tout en défendant un constructivisme moral qui rejoint son éthique de la discussion: cette démarche semble même en être une de réconciliation.

 

 

Cette éthique de la discussion habermassienne, plus spécifiquement, a quant à elle une résonance constructiviste certaine. En effet, l'ajout, par le philosophe, de la notion d'intersubjectivité et de communication dans l'établissement kantien de la norme n'est pas du tout étranger à la notion de co-construction de sens, typique d'une approche constructiviste.

 

Le citoyen philosophe aura très certainement eu un impact sur le monde intellectuel de la société allemande et européenne. Cohérent à son principe de publicité – qui, rappelons-le, prône une utilisation publique et critique de la raison – Habermas a été des plus actifs dans de nombreuses discussions publiques sur différents enjeux sociaux, tel que les questions de la religion et de la défense de la démocratie constitutionnelle. Encore ici, la principe de publicité habermassien et cette démarche de participation à la discussion publique n'est pas étrangère à une approche socioconstructiviste.

 

 

Habermas aura également apporté sa touche personnelle à la construction de l'identité du philosophe d'aujourd'hui. Fidèle à la théorie critique de l'École de Francfort ainsi qu'à son principe de publicité, il indique que «la philosophie maintient un lien étroit à la science d'une part, et au sens commun, d'autre part, [ce qui permet] à ceux qui la pratiquent de développer une critique des pathologies sociales [moins visibles]» (Habermas & Savidan, 2003, p. 81). L'approche de la pensée critique marxiste peut également être liée à une démarche constructiviste, en ce sens qu'Habermas croit qu'il est du devoir du philosophe de faire sens sur les enjeux sociaux occultés, puisqu'il est intellectuellement le mieux outillé pour le faire.

 

Enfin, en guise de conclusion, il importe de souligner au lecteur les possibilités d'approfondissement de l'étude des idées habermassiennes. En effet, nous n'avons qu'effleuré les idées de la Théorie de l'agir communicationnelle, travail important de l'oeuvre de Habermas. Les travaux en sciences sociales de l'auteur (Après Marx, Raison et légitimité : problèmes de légitimation dans le capitalisme avancé), ou ceux de la théorie critique de l'École de Francfort n'ont également été que brièvement touchés et constituent une autre partie des travaux de Habermas. Nous passerons sous silence bon nombre d'autres écrits du prolifique auteur. Retenons cependant que la présentation de l'éthique de la discussion habermassienne ne doit pas être vue comme un reflet global de l'oeuvre du philosophe: le nombre d'idées partagées par le philosophe est en effet bien trop élevé pour accéder à cette prétention.

 

 

1Coll. Wikipédia, «Jeunesses hitlériennes», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeunesses_hitl%C3%A9riennes, 30 août 2007, page consultée le 2 février 2009.

2Coll. Wikipédia, «Sociologie pragmatique», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_pragmatique, 11 août 2006, page consultée le 4 février 2009.

 

 

 

 

Médiagraphie 

 

Bouchindhomme, C. (2002).  Le vocabulaire de Habermas. Paris: Ellipses.

Ferry, J.-M. (1987). Habermas, L'éthique de la communication. Paris: PUF.

Habermas, J. (1975). Theorie et pratique. Paris: Payot.

Habermas, J. (1985). Die neue Unübersichtlichkeit. Kleine Politische Schriften: V.

Habermas, J. (1987). Logique des sciences sociales et autres essais. Paris: Presses universitaires de France.

Habermas, J. (1987). Theorie de l'agir communicationnel. Paris: A. Fayard.

Habermas, J. (1999). De l'éthique de la discussion. Paris: Flammarion.

Habermas, J. (2001). Vérité et justification. Paris: Gallimard.

Habermas, J. (2003). L'éthique de la dicussion et la question de la vérité. Paris: Bernard Grasset.

Habermas, J. (2005). De l'usage public des idées : écrits politiques (1990-2000). Paris: Fayard.

Habermas, J., & Savidan, P. (2003). L'éthique de la discussion et la question de la vérité. Paris: Grasset.

Habermas, J. (1996). Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle. Paris: Cerf.

Ipperciel, D. (2003). Habermas: le penseur engagé. Québec: Presses de l'Université Laval.  

Métayer, M. (2002). La philosophie éthique: enjeux et débats actuels. Québec: ERPI.

 

 

 

 

Coll. Wikipédia, «Sociologie pragmatique», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/Sociologie_pragmatique, 11 août 2006, page consultée le 4 février 2009.

Coll. Wikipédia, «Jürgen Habermas», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/J%C3%BCrgen_Habermas, 5 avril 2008, page consultée le 2 février 2009.

Coll. Wikipédia, «L'École de Francfort», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_de_Francfort, 11 août 2006, page consultée le 3 février 2009.

Coll. Wikipédia, «Jeunesses hitlériennes», [En ligne], http://fr.wikipedia.org/wiki/Jeunesses_hitl%C3%A9riennes, 30 août 2007, page consultée le 2 février 2009.

Poulain, J. «Jacques Poulain rencontre Jürgen Habermas», [En ligne], http://agora.qc.ca/textes/habermas.html 10 janvier 1997, page consultée le 4 février 2009.

  

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